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Réflexions piquantes d'une jeune romaniste
30 octobre 2007

When is art?

Padoue n’est pas qu’une ville universitaire – ni une ville vélocipédique, c’est également une ville culturelle. Beaucoup moins que Venise, bien sûr, mais il faut avouer que la concurrence est rude. Padoue est cependant une cité de peintures et plus particulièrement de fresques : elle peut en effet s’enorgueillir de posséder l’un des plus beaux cycles de fresques du monde (et non : je ne crois pas exagérer). Dans le jardins de l’Arène, à côté du musée « degli Eremitani », se trouve la Cappella degli Scrovegni qui abrite des fresques de Giotto di Bondone représentant la vie de saint Joachim, la vie de la Vierge, la vie du Christ et le Jugement dernier.

Giotto_di_Bondone__Le_Baiser_de_Judas

Giotto m’est familier depuis ma plus tendre enfance : combien de fois ne sommes-nous pas allés à Assise pour admirer les fresques représentant la vie de saint François dans la Basilique supérieure ? Combien de fois n’ai-je pas éprouvé cet agréable sentiment d’intimité en voyant saint François parler aux oiseaux, chasser les démons d’Arezzo ou recevoir les stigmates ? Je suis une enfant d’Assise mais je dois reconnaître que Padoue lui est infiniment supérieure.

Certes, les fresques de Padoue ne m’évoquent ni la mystérieuse disparition de Papa à Assise et l’agacement de Maman (il n’y avait pas encore de portable à l’époque) ni la journée passée avec Patricia et Olivier à s’initier à l’histoire du saint tandis que Papa et Maman faisaient une escapade amoureuse à Rome ni les frasques de Papa – encore lui ! – dansant la « Zoum-ba-zoum » sur la place d’Assise – et moi de pleurer de honte de l’impudeur de mon père ! Mais, dotée à présent de quelque connaissance en histoire de l’art, je ne puis que m’émerveiller face la modernité et le réalisme de ce peintre des Due- et Trecento : l’introduction du fond bleu, le volume des corps, les couleurs éclatantes, l’expression d’une émotion forte sur les visages, etc. Et puis, il est probable que d’ici peu la Cappella degli Scrovegni éveille des souvenirs plus personnels liés au séjour Erasmus.

*

*   *

Mais je pense qu’on ne peut pas limiter l’art de la fresque à Padoue au seul nom de Giotto, ni même à Mantegna (chiesa degli Eremitani) ou Menabuoi (Baptistère). Padoue est une ville bien plus moderne, bien plus hétéroclite. En flânant dans les rues, j’ai été frappée de voir le nombre de peintures murales réalisées par un artiste, inconnu sans doute, mais incontournable ici. D’abord simplement amusée par ces fresques à la fois drôles et désabusées, j’ai fini par prendre l’habitude de les photographier.

Et alors un vieux débat, récurrent depuis que je suis à l’université, refait surface : qu’est-ce que l’art ? Peut-on considérer ces fresques, qui frisent parfois le vandalisme (bien que l’auteur prenne généralement soin de les peindre dans des endroits assez discrets : ruelles, arcades, murs à l’abandon, etc.), comme des œuvres d’art au même titre que les fresques du Giotto ? Ne sont-elles pas dignes d’un égal intérêt Où se situe la frontière entre ce qui relève de l’art et ce qui n’en est pas ?

C’était déjà la question soulevée par l’Urinoir de Marcel Duchamp. Un bête urinoir, qui ne se distingue de ses confrères que par une signature et l’absence de tuyauterie, devient une œuvre d’art à partir du moment où on le présente comme tel – et où on invite le public à en faire autant – en l’exposant dans des musées, en lui réservant moult articles, en le vendant des millions.

Finalement, la nature artistique n’est pas intrinsèque à l’œuvre, elle dépend du récepteur (et aussi de l’émetteur qui choisit ou non d’imposer son produit comme œuvre d’art). Aussi, peut-être est-ce à moi de faire de ces fresques des œuvres d’art. Les photographier, par exemple, est un bon moyen : les touristes n’ont-ils pas l’habitude de photographier ce qu’on leur présente comme de l’art (évidemment, ça ne marche pas très bien avec les fresques de Giotto car il est quasiment interdit de respirer en leur présence, alors les photographier…) ? Ou en parler, comme je suis en train de le faire. Comme ça, si vous allez un jour à Padoue, vous serez attentifs à ce phénomène, vous chercherez ces fresques, vous prendrez des photos, vous en parlerez autour de vous. Ainsi, nous contribuerons peut-être à faire de cet illustre inconnu un Giotto des temps modernes.

(Première image : Giotto di Bondone, Le Baiser de Judas, Cappella degli Scrovegni, Padoue, sur : http://www.wga.hu/index1.html)

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